L'allée couverte néolithique d'Epône (78)

 

Les mégalithes (ou grosses pierres), de la fin de la Préhistoire, sont bien connus en Bretagne mais se rencontrent également en Île-de-France. Dix-sept monuments sont attestés dans les Yvelines et huit sont encore visibles dans le paysage. À Épône, au moins quatre d'entre eux ont été identifiés, comme celui-ci situé au lieu-dit des "Pierres de La Justice".

 

Son architecture l'intègre au type des "allées couvertes" (sorte de couloir formé de grandes dalles). Il s'agit d'une sépulture collective datée de la fin du Néolithique (environ 2 500 ans avant J.-C.). 

La multiplication des sépultures monumentales est un phénomène qui apparait dans toute l’Europe de l’ouest vers 4 000 ans avant notre ère. Ces tombeaux collectifs peuvent avoir plusieurs formes (toutes présentes dans les Yvelines) : l’allée couverte, le dolmen, l’allée sépulcrale (sans dalles monumentales) et l’hypogée (tombe souterraine). Selon la taille du monument, ils pouvaient contenir plusieurs centaines d’inhumations, accompagnées d'un abondant mobilier funéraire déposé en offrande : lames de haches polies, outils en silex et en os, céramiques, parures en schiste, etc.   

Leur construction oblige à s'interroger sur l’organisation sociale des groupes préhistoriques, mais aussi sur les techniques employées. Ceux qui dirigeaient les travaux d'installation avaient de réelles connaissances géologiques (savoir où trouver les bonnes pierres, connaître la résistance des matériaux...). Il fallait sans doute aussi une certaine autorité morale et spirituelle, voire religieuse, pour déterminer l’emplacement et l’orientation du monument, et rassembler, puis diriger, une main-d’œuvre importante (probablement un ou plusieurs villages).

La traction, sur souvent plusieurs kilomètres, et l’érection des mégalithes (dalles pesant plusieurs dizaines de tonnes) ont longtemps été une énigme. Toutes sortes d’hypothèses ont eu cours comme leur attribution aux Celtes jusqu’aux extraterrestres...


C’est notamment grâce à des démarches d’expérimentation des techniques anciennes que les archéologues ont pu déterminer la façon la plus plausible de construire ces monuments. Ils ont ainsi pu démontrer que 200 personnes sont capables de tirer une dalle de 32 tonnes sur une grande distance.

Un monument pour les défunts

À l’origine, la sépulture collective d’Épône était composée d’une longue chambre funéraire de 11,70 x 1,50 m de large, pour une hauteur intérieure d’environ 1,90 m, et était possiblement dotée d’une antichambre, bien que l'entrée ait été entièrement détruite. En effet, le monument visible aujourd'hui n'est pas complet, il ne reste qu'une partie de la chambre funéraire constituée de 11 dalles verticales (orthostates) d'un côté, de 6 dalles de l'autre, de 3 "tables" de couverture, toutes en pierre meulière, et enfin d’une dalle terminale, en grès.

 

Dans cette chambre, soixante inhumations ont pu être identifiées lors des premières fouilles au XIXe s. Elles étaient disposées en deux niveaux, séparés par des plaquettes de calcaire. La couche inférieure d’inhumations reposait directement sur un sol dallé et la couche supérieure était recouverte d’un autre niveau de plaquettes.

 

D’après une première étude réalisée en 1895 par M. Manouvrier, les individus avaient une taille moyenne de 1,60 m, pour les hommes, et de 1,50 m pour les femmes, mais l'approche anthropologique de cette époque n'avait pas les outils actuels d'analyse. 

4 crânes se sont avérés remarquables, l'un pour ses stigmates d’une trépanation (perforation du crâne du vivant de l'individu) et les trois autres, féminins, pour les signes gravés en forme de T qu’ils portent. Ces incisions existaient avant le décès des individus, mais leur signification n'a pas encore trouvé d'interprétation.

Enfin, il semble qu’un grand foyer ait été allumé sur le sol dallé avant le dépôt des corps, peut-être à l’occasion d’une cérémonie funéraire. 

Une histoire mouvementée

Cette sépulture, qui était initialement recouverte d'un tumulus de terre encore visible en 1793, a été "visitée" par les habitants des villages voisins à la recherche de trésors... Selon les archives, ils ne trouvèrent que "des ossements innombrables et petits objets". Déjà très abîmé, le monument fut redécouvert, en 1833, et fouillé pour la première fois en 1881 par M. Perrier du Carne, puis classé au titre des Monuments Historiques, en 1887.


Mais ce n'est qu'en 1953-1954 qu'une fouille associant l'enregistrement méticuleux des découvertes a été effectuée par la directrice de la Circonscription préhistorique du Nord de la région parisienne, d'une certaine manière la toute première archéologue des Yvelines, Mme Eliane Basse de Ménorval. Elle fit également procéder à des travaux de restauration en 1955 : remontage de morceaux de dalles cassées et redressement de certains orthostates couchés.


Quant au mobilier funéraire qui avait survécu aux pillages et avait été transféré au musée de Mantes-la-Jolie, il disparut en grande partie lors des bombardements de la guerre 1939-1945. Quelques ossements et de petits silex (armatures de flèches), ainsi que la documentation issue de la fouille de Mme Basse de Ménorval, sont encore conservés au service archéologique (Montigny-le-Bretonneux).

 

Malgré les dégradations subies, l’essentiel de cette sépulture collective est encore observable sur place, dans le square de la rue des Dolmens, quartier d’Elisabethville. Elle est remblayée jusqu’aux deux-tiers des dalles verticales pour assurer sa stabilité et sa bonne conservation.

 

Un travail universitaire, mené par des enseignants et étudiants en archéologie de l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne a permis un relevé photogrammétrique du monument visible et sa restitution en 3D (Clichés François Giligny et modélisation Cyrille Galinand), à découvrir ici !