La campagne 2019

Cette nouvelle campagne s’est déroulée du 16 mai au 5 juin. Elle a été menée par une équipe franco-arménienne, composée de sept chercheurs reconnus et de deux étudiantes travaillant sur la Préhistoire du Caucase.

 

Cette année, la mission a comporté deux volets complémentaires. Les archéologues ont poursuivi les prospections de surface afin d’enrichir la carte archéologique de la région. Ils ont aussi procédé à des vérifications sur le terrain, réalisant pour la première fois des fouilles à Haghartsin et à Achadjur.

 

En 2018, les recherches avaient privilégié des zones situées dans la vallée de l’Aghstev. Cette année, les efforts ont préférentiellement porté sur les secteurs de moyenne montagne (600-1 600 m), éloignés des centres urbains actuels. Occupés par des pelouses d’altitude, ils sont exploités par les éleveurs qui y laissent paître leurs troupeaux. Ces terrains accidentés à la végétation basse se prêtent généralement bien à la détection de vestiges archéologiques par des moyens conventionnels. Ils ont donc été volontairement ciblés de manière à ne pas focaliser l’attention sur les seuls fonds de vallée.

 

La campagne 2019 a permis de découvrir et/ou documenter 32 nouvelles entités. Celles-ci se répartissent entre la périphérie de l’agglomération de Dilidjan, au sud, et la zone de piémont qui marque la bordure orientale du Tavush. Les découvertes couvrent un large spectre chronologique allant du Bronze ancien (début du IIIe millénaire av. J.-C.) au XIXe siècle. Parmi ces découvertes, treize correspondent à des sites avérés, c’est-à-dire des ensembles pour lesquels on dispose à la fois d’objets archéologiques et d’aménagements structurés, visibles en surface. Les dix-neuf restantes sont considérées comme de simples indices qu’il est très difficile de dater et de caractériser avec précision.

 

 

Parmi les sites avérés mis au jour, celui d’Haghartsin a plus particulièrement retenu l’attention des archéologues. Perché à 1 350 m d’altitude sur un vaste promontoire, ce gisement inédit a fait l’objet d’un arpentage méticuleux qui a permis de collecter une grande quantité de tessons de céramique.

 

Dispersés sur un peu plus de 2 hectares, ceux-ci sont typiques de la culture Kura-Araxe (- 2 900 à - 2 500 ans) : ils appartiennent à des récipients façonnés à la main et bien cuits. Leurs parois sont généralement sombres et présentent un aspect brillant très caractéristique (polissage). Dans certains cas, les fragments portent des décors géométriques modelés associant spirales et lignes brisées. Ce sont ces mêmes motifs que l’on rencontre sur les vases provenant des grands sites arméniens de la plaine de l’Ararat (autour d’Erevan), occupés au cours du Bronze ancien.

La campagne 2019 a été en partie consacrée à l’ouverture de sept carrés de fouille sur le gisement d’Haghartsin. Les sondages en question ont été implantés en différents points du promontoire. L’idée était d’échantillonner le terrain de façon à localiser les espaces les mieux préservés et les plus riches en vestiges. Ces sondages représentent une superficie globale de près de 40 m², soit une part infime de l’extension supposée du site. À une exception près, les tests se sont révélés positifs. Les niveaux occupés au Bronze ancien sont enfouis à de faibles profondeurs. Pourtant, ils n’ont pas trop souffert de l’érosion et des activités agricoles.

 

Les investigations ont permis de dégager plusieurs structures en creux (un silo et une fosse dépotoir) ainsi que quelques aménagements en pierres sèches, interprétés comme des bases de murs. Du mobilier en place a également été exhumé. L’essentiel des objets attribués au Bronze ancien est issu du silo (sondage 5) et des lambeaux de sol observés dans le sondage 6. De ces mêmes carrés de fouille proviennent des ossements animaux en bon état et quelques éclats d’obsidienne.

 

À l’issue de ces premières fouilles, la vision de cet habitat demeure encore très incomplète : on ne sait encore rien de son organisation, des activités pratiquées sur place ou de la durée et de la fréquence de l’occupation. Cependant, les résultats obtenus sont très prometteurs.

 

D’une part, les aménagements repérés sont assez différents de ce que l’on connaît sur les sites du haut-plateau arménien, datés du début du IIIe millénaire av. J.-C. À Haghartsin, la pierre semble effectivement se substituer à la terre crue dans l’architecture domestique. Logiquement adaptés aux ressources disponibles sur place, les matériaux mis en œuvre dans les bâtiments semblent contribuer à l’affirmation d’une identité propre aux régions du nord-est arménien.

 

D’autre part, le mobilier retrouvé est non seulement abondant, mais surtout issu de contextes qui n’ont pas été perturbés depuis leur enfouissement. Ce site offre par conséquent l’opportunité d’acquérir des données fiables sur les modes de vie et l’appartenance culturelle des populations locales du Bronze ancien.

 

 

Les travaux en cours privilégient deux axes de recherche. L’analyse des écofacts (restes animaux et graines) apportera des informations inédites sur l’économie rurale dans cette région de moyenne montagne. Parallèlement, l’étude des céramiques devrait permettre de reconnaître et de caractériser des traditions potières, typiques du Tavush et des provinces voisines. Il deviendrait alors possible de confirmer l’existence d’une mosaïque de groupes régionaux au sein du vaste ensemble culturel Kura-Araxe.

 

 

 

 

 

 

Découvert en 2018, le site d’Achadjur est localisé à une quinzaine de kilomètres au nord d’Idjevan. Il se présente sous la forme d’une petite éminence (620 m d’altitude), en partie touchée par des terrassements datant de la période soviétique. Ces travaux récents ont dégagé une vaste coupe qu’il a été possible de nettoyer et au pied de laquelle des carrés de fouille ont été ouverts en 2019.

 

C’est ce chantier qui a été présenté à de jeunes lycéens, à l’occasion d’un événement qui s’est déroulé le 26 mai 2019. Cette journée portes ouvertes s’est inscrite dans le cadre d’un programme périscolaire intitulé Explore Armenia, piloté par le Dilijan College. À la fois ludiques et pédagogiques, les animations avaient pour but de sensibiliser les élèves aux questions relatives à la conservation et à l’étude du patrimoine archéologique local. Il s’agissait aussi de les initier aux différentes techniques d’investigation mises en œuvre par les scientifiques sur le terrain. Il leur a notamment été proposé de contribuer à la reprise d’une coupe stratigraphique et de procéder à une première identification des objets exhumés, avec l’aide des spécialistes de la mission.

 

Les élèves ont donc découvert et expérimenté les méthodes de l’archéologie tout en s’appropriant une partie de l’histoire locale. Encore modestes, ces ateliers constituent la première étape d’un travail de fond qu’entendent développer et promouvoir les co-directeurs de la mission de façon à toucher un public plus large.

 

 

Après deux années d’exercice, les acquis vont au-delà des attentes des chercheurs. Et la mission 2019 n’a fait que confirmer le potentiel archéologique du Tavush, en particulier pour le Bronze ancien. Les résultats préliminaires obtenus en 2019 invitent tout particulièrement à poursuivre les recherches à Haghartsin.

 

  • Les travaux prévus en 2020 seront entrepris avec un double objectif. Il s’agira d’étendre les prospections archéologiques à des secteurs encore inexplorés. Il est d’ailleurs envisagé de recourir à la technologie LiDAR pour passer au crible, à l’aide de moyens aéroportés, des zones difficiles d’accès et couvertes par une végétation dense.
  • Il s’agira également de continuer les fouilles sur le plateau d’Haghartsin afin de mieux saisir l’extension réelle du site et d’identifier les principales composantes de l’habitat Kura-Araxe. À ce titre, une cartographie des propriétés électromagnétiques du sous-sol local sera effectuée. Ce travail préalable permettra de sélectionner les secteurs à explorer en priorité et de dimensionner au mieux les moyens à déployer dans les années à venir.